• CHAPITRE 4


    JADE


    Elle... Je n'aurais jamais cru... Qu'elle aurait cherché à me faire si mal... Pourquoi... Pourquoi ?... Avait-elle au moins réfléchi à son acte ? Je n'en saurais jamais rien...


    Cela faisait un certain temps que l'on ne s'était plus adressé la parole... Les mots m'échappaient, s'éteignaient brutalement. Dès que je la voyais, je la repoussai, répugnante, horrifiée par tout ce qu'elle avait pu faire... Ainsi que l'autre... Oui, l'autre, celui dont j'avais été amoureuse !... Ce sale gamin capricieux, arrogant et laid ! Car ces traits étaient déformés par son attitude instable, désobligeante et dédaigneuse ! Je les détestais ! Elle... Et lui... Eux deux !


    A l'époque, une seule envie me pourchassait : de les voir mourir... Oui, mourir... Si la confiance d'une adolescente est détruite par des trahisons, des mensonges et des promesses non tenues, alors sa colère se fait ressentir par de puissantes envies meurtrières envers les personnes infidèles...


    Mais ce que j'ignorai, c'est que plus tard, j'aurai regretté ces paroles...


    ***


    Mathématiques, Sciences Physiques, Français... Décidément, que des matières que j'aime ! J'en ai tellement marre ! La fatigue me saisit chaque jour plus violemment, les journées sont infiniment longues et... bouleversantes. Tournant délicatement la tête vers la droite, je remarque l'intense regard que me porte Eléonore sagement. Mais qu'est-ce qu'elle me veut encore ? Elle m'énerve ! Tiens, elle parle à son voisin... Obéissant et routinier, celui-ci me passe un mot et me dit : "De la part d'Éléonore". Oui, bon, ça j'ai compris, merci ! A-t-elle enfin trouvé le moment propice pour me déclarer sa flamme ? Ha ha... humour ravageur, Jade fidèle au rendez-vous !


    C'est une petite lettre, légèrement gribouillée. Je fais en sorte de faire preuve de la plus grande discrétion possible pour que madame Ville ne remarque rien, et que Wladimir ne jette pas ses yeux globuleux sur ce qui ne le regarde pas. Voici donc le fameux contenu de cet étrange récit :


    "Jade, écoute-moi pour une fois s'il te plaît. Je n'ai pas pu te donner cette lettre avant, je l'ai écrite hier soir. J'étais... comment dire ? Anxieuse ?... Non, pas inquiète non plus... Enfin... Lis ce qu'il suit, et ne te moque pas de moi. J'ai décidé de te parler franchement (ah ouais ? une lettre ? C'est très franc dis-moi !) et je me rends compte de beaucoup de choses...


    Je croyais qu'après cette dispute au parc, tu me serais revenue, sereine, or, s'en est tout le contraire. Parle-moi ! Pourquoi je n'ai plus le droit à tes sourires ? Tu les donnes à Wladimir, hein ? Mais qu'est-ce qui se passe donc dans ta tête ? J'aimerais savoir ! Je suis ton amie, non ? (Hmmm... Bonne question...). Tu as toujours été à l'écoute, sympathique et... pourquoi ne m'écouterais-tu pas quand je te dis que ce jeu "Atlantidias Game", n'est pas bon pour toi ? Je... Je le sens ! Est-ce que tu me crois quand je te dis ça ? Je suis sûre que je ne me trompes pas, et tu peux me croire. Il est vrai que ce jeu est criant de réalisme, fascinant... Mais c'est un monde mauvais ! Il t'emporte complètement, et... je voulais te parler... au sujet de ton amie... Tu te souviens ? Tu ne m'en as plus parlé depuis longtemps... Aurait-elle vraiment... disparu ? Fugué ? J'ai besoin de savoir pour te comprendre, Jade. Et ça, tu ne peux pas le contredire.


    J'espère que ça ira mieux entre nous très bientôt. Je t'aime beaucoup Jade, tu étais ma seule meilleure amie jusque-là... S'il te plaît, reviens me parler."


    Hmmm... Un brin de sentimentalité pour que je succombe ou bien ?... Pff...


    Mais, d'un côté, c'est vrai que ce monde est étrange... Je ressens le besoin énorme de me confier à Éléonore... Mais mon côté indépendant l'emporte très souvent. Trop souvent. Et cette bague... L'avait-elle remarquée ?


    Dans un rayon de lumière, je fais briller celle-ci... Tiens donc ! Elle est couleur cuivre maintenant !... Wahou... Oui, c'est peut-être à cause de la lumière !... Non, ce n'est pas possible...


    Je tourne ma tête et, devinez quoi... Wladimir m'observe. Fronçant les sourcils, je lui lance :


    "- Quoi ?

    - Fais voir ta bague...

    - Nan.

    - Allez, passe ! s'impatienta-t-il en approchant sa main de la mienne.

    - Ne me touche pas !"


    J'ai crié. Je suis persuadée d'avoir crié. Je regarde les autres élèves... Non, seuls mes voisins de devant me dévisagent avec curiosité. Si Wladimir me touche, ou même, s'il me frôle, je lui défonce la tête !


    "- Qu'est-ce que tu as ? Tu as peur ? me dit-il, sarcastique.

    - Non.

    - Alors... C'est quoi cette réaction fort bizarre ?

    - Laisse-moi tranquille !

    - Je serai aussi têtu que toi. Allez quoi ! Passe-moi ta bague, je veux simplement vérifier quelque chose.

    - Qu'est-ce que tu veux vérifier ?

    - Enlève-là si tu ne veux pas que je te touche !

    - Je ne vois pas où tu veux en venir..."


    Tout en disant ces paroles, je commence à retirer délicatement la bague, d'abord lentement, puis, comme elle reste au même emplacement, je tire un peu plus, mais rien n'y fait. Je sens de plus en plus le sourire ironique de Wladimir me traverser le cerveau.


    "- Alors, ça vient ?

    - Hé, Mir Vaisselle, j'fais ce que je peux pour toi alors ferme-là !

    - Promis, je ne te touche pas."


    Franchement, je suis méfiante. Si vous saviez tout ce dont il est capable de faire, vous auriez la même réaction que moi.

    Il me regarde, de ses yeux moqueurs :


    "- Qu'est-ce que les filles sont compliquées...

    - Et pourquoi tu dis ça ? demandai-je, énervée.

    - Je ne vais pas te manger...

    - Ça, je n'en sais rien... répondis-je du tac au tac.

    - Hmm... Arrête, et passe-moi ce fichu anneau.

    - T'as bien vu que je n'arrivais pas à l'enlever, non ?!

    - Ah oui c'est vrai... Bon...

    - T'as dit que tu ne me toucherais pas !

    - Ben dépêche toi, alors !

    - Voilà, voilà... Et tu pourrais dire "s'il te plaît", non ? Ou ça te tuerait ?

    - S'IL TE PLAÎT !

    - Crie pas, imbécile !

    - Tu ne manques pas de politesse non plus... Bon, fais voir ça... Pour tout te dire, ce matériau m'intrigue étrangement... Je peux faire une photo ?

    - Fais comme tu le sens," soupirai-je avec agacement.


    Il prend vite son portable, et photographie comme il peut (pour avoir une image plus nette). Tout d'un coup, la sonnerie annonce la fin des cours. Ouf, enfin libérée de ce... Ah, beurk !!! Encore dégoûtée par son attitude, je frotte mes mains sur mon manteau (comme si je veux enlever les "bactéries" que Wladimir aurait posé sur ma main - drôle d'idée), espérons que Madame Rougier ait acheté du désinfectant. Je sens soudain une présence étouffante planer autour de ma table... Je me retourne, et ô miracle, qui voilà ! Notre chère Éléonore...


    "- Tu l'as lu ma... lettre ?

    - Oui, bien sûr...

    - Et...

    - Et... Bon, tu sais quoi ? Je m'excuse comme tu le veux, voilà voilà, désolée pardon, enfin bref, tout ce qu'exige la politesse. C'est bon tu es contente ?

    - Non, me répondit-elle froidement - et c'est bien la première fois. Ce que je souhaite, c'est de savoir ce que tu penses sincèrement."


    Là, je suis coincée. Je lui propose donc de rentrer ensemble (ça faisait longtemps !...) et de discuter un peu. Moi aussi, je veux comprendre. Vous ne comprenez pas mon attitude ? C'est pourtant bien simple : je suis une fille gentille au fond. Au fond, penserez-vous. Je ne suis pas si "gamine" que ça. Non non, je peux être aussi très très mature ! Voyez-vous, je n'aime pas me disputer. Seulement, quand quelqu'un vous énerve, vous n'allez pas faire "semblant" que tout va bien, non ? Et je ne supporte pas être soumise à quelqu'un, ni à quelque chose ! J'avais le droit de connaître le jeu d'Atlantidias Game, non ? Et bien, Eléonore m'en empêchait ! Je ne vois strictement pas pourquoi, d'ailleurs...


    "- Et... À mon tour je veux savoir, pourquoi tu m'interdisais autant de ne pas aller voir ce jeu ? Qu'est-ce qu'il avait ? Tu pouvais me laisser libre de mes actes, non ? Et toi, qu'est-ce que tu faisais à Game Center l'autre jour, hein ?

    - Si tu pouvais me poser une seule question à la fois... En tout cas, je te l'ai déjà dit. Tu me prendras pour une folle, mais ce jeu, oui "Atlantidias Game"... je ne le sens pas. C'est comme ça. Est-ce que tu n'as pas eu une impression opprimante, un étouffement inexplicable quand tu es "entrée dedans" ?... Une sensation... d'emprisonnement dirai-je ? De monde à part ?... Je suis allée à Game Center, pour confirmer mes craintes, voilà tout. Et je pense toujours que j'ai raison de me méfier de ce jeu."


    Notre causette se poursuit et les réflexions me font tressaillir. Effectivement, j'avais eu une sensation quelque peu suffocante, mais à la fois tellement agréable... c'est un paradoxe me diriez-vous mais ce fut pourtant mon ressenti de l'instant présent. L'air ne semblait pas naturel, comme celui des bouteilles d'oxygène que l'on utilise lors de plongées ! Aurait-elle raison ? Mais non, c'est stupide !


    "- Mouais, j'suis pas tellement convaincue... C'est vrai, on a une impression bizarre... Mais il faut s'y faire c'est tout.

    - N'empêche que toi aussi, tu trouves cela étrange. Cependant, tu as un caractère trop fier pour pouvoir l'avouer."


    N'importe quoi ! Qu'est-ce qu'elle peut raconter comme sottise ! Hé... Mais pourquoi s'arrête-t-elle en fixant ma main comme ça ?


    "- Ta... Tu as une bague maintenant ?

    - Oui, Wladimir et moi voulons nous marier, lançai-je sans conviction.

    - Sans blague, me répondit-elle du genre "arrête-de-te-fiche-de-moi".

    - Tu ne me crois pas ?

    - Bien sûr que non. Malgré le fait que vous soyez toujours collés l'un à l'autre !

    - Ah, ne me dit pas ça, maugréai-je, agacée. Je le hais ce type.

    - Je commence à me poser des questions... Et dis, pourquoi tu as cette... superbe bague ?

    - Monsieur Rougier me l'a offerte. Elle est spéciale, n'est-ce pas ?

    - Totalement. Fais attention à toi..."


    Je ne peux m'empêcher de rire... C'est bon, une bague ne va pas me tuer, quand même !


    "- Arrête de te tracasser pour rien !

    - Mais...

    - Y a pas de mais ! Et en plus, on est devant chez toi... Allez, on oublie les passages désobligeants qui ont causé notre engueulade et...

    - Et ?...

    - ... On se revoit demain ? continuai-je, comme si de rien n'était.

    - Hmmm..." lança Eléonore, pensive, avant de fermer la porte de son immeuble.


    ELEONORE


    "- Grégoire, arrête de me coller !

    - Allez, avoue !

    - Tu es bête ou quoi ?

    - Coi.

    - Hein ?

    - Tu me demandes si je suis stupide ou coi. Je te réponds : coi."


    Comprenant la blague vaseuse que mon frère venait de me faire, je lui balance :


    "- Plus tu te comporteras comme un abruti, plus je vais te détester petit frère !

    - Mais pourquoi ne veux-tu pas simplement me dire : Oui, je l'aime !

    - Tout simplement parce que je ne l'aime pas ! Ce n'est pas si difficile à comprendre !

    - Nonore, que se passe-t-il ? demanda ma mère.

    - Ah, Maman ! Je t'en supplie, donne des fessées à Grégoire, punie-le de télé, ordi, enfin bref, tout ce que tu veux !

    - Quelle en est la raison ? dit-elle d'une voix enjouée.

    - Il m'énerve... Il n'arrête pas de me tanner depuis tout à l'heure pour que je dise haut et fort que j'aime un garçon de ma classe, ce qui est complètement absurde.

    - Bien, je comprends mieux... Grégoire, suffit, tu vas faire ton travail dans ta chambre, et il est HORS DE QUESTION que tu bouges, compris ? Jusqu'à ce qu'on t'appelle à table !"


    Malgré lui, il traîne des pieds, prend son sac, et monte les escaliers avec lassitude.


    "- Alors ma petite Nonore, qu'est-ce qui ne va pas ?"


    Les mères ont le don de tout sentir. L'instinct maternel, disent-elles. Je ne sais pas comment elles font. Comme je n'ai pas envie d'en parler, je réponds vaguement pour remettre la conversation en ma faveur :


    "- Oh, rien... Il faut que je me repose. La semaine d'examen a été dure, mentis-je.

    - Tu as eu des examens ?

    - Un. Celui de Français.

    - Et bien... Le mieux est, comme tu l'as dit toi-même, de te reposer. Demain, tu iras rejoindre Jade au parc ou c'est vraiment fini entre vous ?

    - Bof, on vient de se réconcilier.

    - Comment ça, "bof" ?

    - J'ai l'impression qu'elle a pris ça à la légère. Plus pour se soulager et pour arrêter de rester avec Wladimir. En gros, je suis son bouche-trou !

    - Ne dis pas ça..."


    Ma mère me regarde toujours droit dans les yeux quand elle veut me dire quelque chose d'important. Je la laisse parler.


    "- Si elle est venue s'excuser à son tour, c'est qu'elle avait une raison. Écoute ton cœur. Jade, bien qu'elle n'ait pas un caractère facile, ne te prendra jamais pour son bouche-trou. Comprends-là ; Madame Rougier lui mène la vie dure ! Répliquer et montrer sa mauvaise foi fait partie de sa personnalité."


    Je reste silencieuse. A-t-elle raison ? Je ne sais pas. C'est tout de même moi qui la voie la plus souvent ! Fatiguée et démoralisée, je pars dans ma chambre d'un pas mollasson. J'ai la sensation qu'un malheur va arriver. Ah ! Quelle anxieuse je peux faire !

    La réaction de Jade m'a déconcertée. Je suis complètement perdue. Et puis ce jeu qui m'intrigue toujours autant... Je ne comprendrais jamais les gens... Suis-je comme tout le monde, au moins ? Des questions vraiment débiles peuvent nuire à la santé, j'en suis consciente... C'est exactement mon cas.


    Je m'assois sur ma chaise, et sonde mes livres en quête d'un petit indice... En réalité, je ne sais pas ce que je cherche. Je pense perdre mon temps, mais tant pis. Je me lance et là, je ne peux plus m'arrêter : des informations défilent à une allure folle alors que je feuillète mon livre d'SVT.


    ***


    JADE


    Arrivée chez moi, je me jette sur le canapé. Ouah ! Quel soulagement ! J'ai complètement détourné la situation ! Enfin, Éléonore a mis du sien, je reconnais...


    "- JADE ! cria soudain Madame Rougier d'un ton sec. Tu n'es pas chez les Zoulous ici ! Tiens-toi comme il faut ! Et dire que tu es censée donner le bon exemple !... Vraiment, je suis exaspérée de ton cas.

    - Je suis ravie de le savoir, madame, répondis-je calmement alors qu'elle allait encore me postillonner à la figure des phrases désobligeantes et sans intérêt.

    - File dans ta chambre travailler plutôt que de te vautrer dans le canapé pour regarder des séries stupides !"


    "C'est vous qui êtes stupide." Voilà ce que j'aurai dû répliquer. Mais bon, je me retiens, et docilement, je prends mon sac et ferme la porte de ma chambre en prenant bien soin de la faire claquer.


    Christophe entre doucement, et s'installe sur mon lit en silence. Exténuée par cette journée, je cours à la salle de bain me jeter de l'eau sur la figure. Ah oui, ma bague ! J'allais l'oublier ! Mettant ma main sous l'eau, j'essaie de l'enlever, mais celle-ci reste clouée à mon annulaire. Du savon, voilà la solution magique ! Elle ne part toujours pas ! Grrr !


    Après cinq minutes de dur labeur, toujours rien. Je reviens donc bredouille dans ma chambre, et m'affale sur le lit. Christophe est là, et me regarde sagement. Je lui demande :


    "- Qu'est-ce que tu fais là ?

    - J'ai entendu les cris de maman.

    - Ah, oui...

    - Elle ne te supporte vraiment pas ?

    - J'en sais rien... A vrai dire, c'est sûr, je ne suis pas de votre famille... Mais ce n'est pas une raison pour..."


    Mes yeux me piquent. Raaah, je ne vais pas pleurer quand même ! C'est absurde !


    "- Tu pleures ?

    - Nan, le coupai-je.

    - Alors quoi ?

    - Rien, laisse-moi tranquille.

    - Ok... Repose-toi bien grande sœur !" s'exclama-t-il tout en me faisant un bisou bien baveux sur mon front.


    Je sens que la fièvre monte, je ne sais pas pourquoi. L'état psychique atteint le physique, c'est bien connu. Mal à l'aise, je m'enfouis donc dans les couvertures... le sommeil se fait ressentir, mes paupières se ferment et se rouvrent par à coups jusqu'à fermeture totale. Je m'endors docilement et exténuée, sans me rendre compte que ma bague avait encore changé de couleur.


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